Non, l’Union européenne ne dispose pas de cadre institutionnel lui permettant de fournir des forces d’intervention lors de manifestations dans les États membres

 L’exclusion du candidat Călin Georgescu des élections présidentielles, d’abord par décision du Bureau électoral central, puis par décision de la Cour constitutionnelle, a généré une nouvelle vague de protestations, accompagnée de rumeurs de complot liées à la présence de gendarmes étrangers, principalement français, au sein des forces de maintien de l’ordre à Bucarest.

CONTEXT

À partir du 10 mars 2025, plusieurs posts ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux, véhiculant l’idée que les forces de la gendarmerie roumaines avaient reçu des renforts d’autres pays, notamment de la France. Même des pourcentages ont circulé, ainsi, un post sur Tik Tok, cité par la gendarmerie roumaine elle-même, affirme que 30% des forces déployées lors de la manifestation du 10 mars qui a dégénéré en violence, « ils n’étaient pas roumains, mais vraisemblablement amenés de France », et un autre post sur TikTok, avec près de 6 000 likes et près de 1 000 commentaires, la plupart de révolte contre la soi-disant présence de forces étrangères, affirme que « Les gendarmes sont des soldats de Bruxelles, vous ne le saviez pas, la moitié d’entre eux ne sont pas Roumains. »

Un autre post précise que « La Force de gendarmerie européenne Eurogendfor créée en 2004 peut intervenir sur le territoire de l’Union européenne, notamment dans le cadre d’opérations anti-émeutes. Une force de police paramilitaire se positionne au-dessus des lois nationales et de toute immunité. L’idée a été soutenue le soir du 11 mars par la dirigeante du parti souverainiste S.O.S, Diana Șoșoacă, lors d’un talk-show sur la chaîne de télévision B1. « Savez-vous qui était dans la rue près de la gendarmerie roumaine il y a 2 jours lorsque l’émeute a éclaté ? Les troupes de défense de l’UE, les mêmes troupes qui parlaient français. La défense des pays sera assurée par l’armée de l’UE. Notre gendarmerie a des auxiliaires, nous avons plus de 300 000 gendarmes en Roumanie. „Aux Pays-Bas, ils ont été utilisés pour la première fois en 2020, lorsque des personnes sont descendues dans la rue contre les restrictions et que des gendarmes de l’UE ont envoyé des chiens pour les massacrer”, a affirmé le leader de S.O.S.

VÉRIFICATION

La gendarmerie roumaine a déjà démenti ces informations dans un message publié sur sa page Facebook le 11 mars, soulignant que « c’est une information complètement fausse ». Conformément à la réglementation légale en vigueur, une condition obligatoire pour l’emploi dans la gendarmerie roumaine est que les personnes recrutées aient la nationalité roumaine et résident en Roumanie. Ces exigences sont clairement stipulées dans la législation relative à l’activité de gestion des ressources humaines dans les unités militaires du ministère de l’Intérieur et sont strictement respectées.

Capture d’écran de la page Facebook de la gendarmerie roumaine

Plus tard, dans la soirée du 11 mars, la gendarmerie roumaine est revenue avec une nouvelle déclaration, dans laquelle elle souligne : « Compte tenu des informations présentées dans l’espace public par une personne ayant le statut d’homme politique concernant le fait qu’aux côtés de la gendarmerie roumaine, du personnel des « troupes de défense de l’Union européenne » aurait participé aux mesures d’assurance de l’ordre public les 9, 10 et 11 mars 2025, nous apportons la précision suivante : Seules les structures du ministère de l’Intérieur ont agi pour assurer l’ordre public, protéger les citoyens, les institutions et l’ordre constitutionnel. La Roumanie n’a présenté aucune demande d’aide internationale sous quelque forme que ce soit. Nous précisons également qu’il n’existe pas de structure militaire appartenant à l’Union européenne appelée « forces de défense de l’Union européenne ».

Pour vérifier à la fois les affirmations contenues dans les publications sur les réseaux sociaux et les démentis publiés par la gendarmerie roumaine, nous avons recherché sur les pages officielles des institutions européennes s’il existe des structures militaires qui pourraient fournir des forces d’intervention dans d’autres pays européens.

Une analyse publiée sur le site du Parlement européen souligne d’emblée qu’« il n’y a pas d’armée européenne et la défense reste une compétence exclusivement nationale ». L’analyse remonte à 2019 et a été mise à jour en septembre 2023 avec la présentation de nouvelles actions et plans visant à approfondir la collaboration militaire entre les États membres, ce qui prouve une fois de plus à quel point les choses évoluent lentement à cet égard. Même les nouveaux plans ReArm Europe, présentés par la Commission européenne début mars, visent principalement l’acquisition conjointe d’armes et la création de capacités de défense communes pour les États membres, et moins la création d’une structure à travers laquelle l’Union européenne aurait ses propres troupes.

Il existe diverses structures multinationales au niveau européen, telles que l‘Eurocorps, EU battlegroup, European Maritime Force, European Gendarmerie Force, auxquelles participent, de leur propre initiative, un petit nombre d’États membres de l’UE, auxquels s’ajoutent parfois des États non membres de l’UE, comme la Turquie. Comme on peut le constater sur les sites Internet de ces structures, leur rôle est de représenter l’Europe et en particulier l’Union européenne dans des missions étrangères, dont beaucoup sont menées sous l’égide de l’ONU ou de l’OTAN ou d’autres organisations internationales, missions pour lesquelles une approbation au niveau européen est requise. C’est également le cas de la Force de gendarmerie européenne (Eurogendfor), invoquée dans l’un des posts sur les réseaux sociaux comme une possible structure préparée à « intervenir sur le territoire de l’Union européenne, notamment dans le cadre d’opérations anti-émeutes ». Eurogendfor publie sur son site internet une liste (mise à jour jusqu’en juillet 2024) des missions passées et actuelles dans lesquelles elle a été et est impliquée. Comme le montre la capture d’écran ci-dessous, toutes ces missions se déroulent dans des zones de conflit en dehors de l’UE.

La force EUROGENDFOR n’est pas une force prête à intervenir à tout moment (ou affectée de manière permanente), mais elle est créée ad hoc, en fonction du type de mission à effectuer, une période pouvant aller jusqu’à 30 jours étant nécessaire pour constituer la force d’intervention à partir du moment de la notification de la situation de crise, comme l’explique une analyse du CoESPU, le Centre d’excellence pour les unités de police de stabilité, un institut des Carabinieri italiens qui travaille en partenariat avec l’Initiative américaine pour les opérations de paix mondiales. Par conséquent, une implication des forces de gendarmerie européennes dans le cadre d’une manifestation spécifique serait difficile à réaliser, surtout compte tenu de toutes les étapes qui doivent être franchies pour mener à bien une mission, également présentées sur la page EUROGENDFOR.

Les rumeurs selon lesquelles les forces de gendarmerie étrangères interviendraient lors de manifestations dans différents pays ne sont pas nouvelles. Des sites connus pour diffuser de fausses informations ont fait circuler des accusations d’intervention de l’EUROGENDFOR en Grèce lors de la crise financière (2012), en France lors des gilets jaunes (2018) ou des manifestations anti-vaccins (2022), comme le montre un article de fact-checking de l’AFP et repris par European News Room, sous le titre « La Force de gendarmerie européenne est-elle une ‘armée secrète’ ? » , avec le verdict : Faux.

CONCLUSION

Les rumeurs sur la présence de gendarmes étrangers parmi les forces de maintien de l’ordre à Bucarest sont fausses, elles ont été démenties par la gendarmerie roumaine et les données européennes montrent que l’Union européenne ne dispose ni d’un cadre institutionnel, ni de structures organisées qui pourraient fournir des forces d’intervention en cas de manifestations dans les États membres.

Carolina Ciulu