Les discussions au niveau européen concernant la mobilisation d’importantes ressources financières pour plusieurs priorités stratégiques allant des programmes européens d’armement et de sécurité à l’augmentation de la compétitivité des entreprises et à la transition verte ou numérique ont donné lieu à des rumeurs liées à une confiscation ou à une redirection obligatoire de l’épargne des citoyens pour financer de tels projets.
CONTEXTE
Un message publié sur la plateforme X, daté du 10 mars, par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, annonçant que « ce mois-ci, la Commission européenne présentera des plans pour une Union économique et d’investissement », a généré une série de messages alarmistes sur les réseaux sociaux, ainsi que sur certains sites d’information. La phrase « incriminante » est celle dans laquelle Ursula von der Leyen affirme que « nous transformerons l’épargne privée en investissements indispensables ».
Capture d’écran du message du président de la Commission européenne sur la plateforme X
La déclaration laconique d’Ursula von der Leyen a été interprétée comme une intention de l’Union européenne d’imposer une redirection obligatoire et forcée, voire une confiscation, de l’argent des citoyens européens pour les projets ambitieux annoncés par Bruxelles. Il s’agit d’une attaque ou d’un vol de l’argent des Européens, y compris celui des Roumains, comme l’écrit le site d’information en ligne BZI : « Ursula von der Leyen a écrit dans un message publié sur le réseau X qu’elle voulait prendre l’argent privé des Européens dans les banques et l’utiliser. La présidente de la Commission européenne estime que cela est nécessaire au « bien-être » de tous. Il est absolument choquant que, dans une démocratie, la Commission européenne veuille se débarrasser de l’argent privé des citoyens. Il est totalement anormal qu’Ursula von der Leyen considère comme acceptable de voler l’argent collecté par la population ! », conclut le site BZI.ro.
Capture d’écran du site d’actualités en ligne BZI
Le « danger » que l’argent des citoyens soit transformé de force en « investissements » est propagé notamment par des influenceurs, des politiciens d’orientation souverainiste ou des journalistes et des chaînes de télévision qui promeuvent des positions eurosceptiques, accusant Bruxelles de « dictature ». Sur les réseaux sociaux, on trouve même des posts affirmant que « les banques ne sont plus un endroit sûr pour l’épargne des gens » ou incitant les gens à retirer leur argent des banques.
Ces posts intensifient les rumeurs déclenchées depuis début février sur les réseaux sociaux, mais aussi par certaines publications, qui avertissaient ou laissaient entendre qu’il y aurait un risque de « mobilisation forcée » voire de confiscation de l’épargne privée par l’UE, « sans demander l’autorisation des citoyens ». « On ne sait pas encore si l’UE imposera une mobilisation forcée (une sorte de confiscation) des dépôts bancaires respectifs – comme le rapportent les articles publiés dans la presse française et repris par le journal BURSA – ou si la volonté des citoyens européens concernant la destination de leurs propres économies primera sur les décideurs de Bruxelles. » Il est important de noter que dans les deux articles du journal Bursa, auxquels j’ai fait référence plus haut, un certain doute laissé planer est fondé principalement sur un article du site français France-Soir, signé Xavier Azalbert. France Soir est un site Internet controversé qui a perdu son statut de service de presse en ligne suite à des accusations selon lesquelles il promouvait de fausses informations. La décision a été prise par la commission mixte paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) en France sur la base d’un avis du ministère de la Santé qui estimait que les informations diffusées par le site pouvaient constituer un danger pour la santé publique. La décision de la CPPAP a été confirmée par le tribunal administratif de Paris, devant lequel les propriétaires du site France Soir ont fait appel, comme l’écrit Le Figaro. Vous pouvez lire le « virage complotiste » de Xavier Azalbert dans l’article publié par Franceinfo sous le titre : « De journal populaire à outil de désinformation : la lente déchéance de „France-Soir”, titre historique de la presse française ».
VÉRIFICATION
L’Union économique et d’investissement est encore en phase de projet, comme on peut le lire sur le site de la Commission européenne. Entre le 3 février 2025 et le 7 mars 2025, la Commission a mené une consultation publique, à la suite de laquelle elle a reçu 241 propositions, commentaires et observations de grandes institutions financières, de fonds de pension, mais aussi de citoyens ordinaires (dont certains citoyens roumains, voir ici, ici ou ici), dans le but de « relier l’argent épargné aux formes d’investissement les plus productives » pour atteindre « des objectifs stratégiques, notamment l’innovation, la décarbonisation, les technologies numériques et la défense ». L’initiative « se concentrera sur l’augmentation de la rentabilité de l’épargne des citoyens de l’UE et l’élargissement des possibilités de financement pour les entreprises, améliorant ainsi la compétitivité de l’UE », a-t-il également été indiqué dans l’appel à consultation lancé par la Commission européenne sur le thème de l’Union économique et d’investissement.
Le 19 mars, la Commission a présenté la « stratégie pour une Union économique et d’investissement visant à accroître les opportunités financières pour les citoyens et les entreprises de l’UE », évoquant « une nouvelle stratégie visant à canaliser l’épargne vers l’investissement productif ». L’initiative « vise à accroître la participation des citoyens de l’UE aux marchés des capitaux grâce à des options d’investissement plus larges et à de meilleures connaissances financières, encourageant ainsi leur richesse et stimulant l’économie de l’UE. »
Capture d’écran du site Web de la Commission européenne
Quatre axes sont détaillés, dont le premier est intitulé : « Citoyens et économies ». Il est très clair ici que « les déposants individuels jouent déjà un rôle central dans le financement de l’économie de l’UE par le biais des dépôts bancaires, mais ils devraient avoir la possibilité, s’ils le souhaitent, de conserver une plus grande partie de leur épargne dans des instruments du marché des capitaux à rendement plus élevé, y compris pour la retraite. »
Il n’est donc question nulle part de confisquer ou d’orienter obligatoirement l’épargne des citoyens vers des projets européens, mais seulement que, « s’ils le souhaitent », les citoyens « devraient avoir la possibilité de conserver une plus grande partie de leur épargne dans des instruments du marché des capitaux à plus haut rendement ». En outre, « les citoyens jouissent d’une totale liberté d’investissement en fonction de leurs choix personnels : ils auront toujours le contrôle total sur la destination de leur argent. L’UEM (Union économique et d’investissement) vise à créer un environnement plus favorable pour les citoyens souhaitant investir sur les marchés financiers, leur permettant ainsi d’accéder plus facilement à des opportunités d’investissement productives », comme le souligne la section « Questions et réponses sur l’Union économique et d’investissement ».
Par ailleurs, les rumeurs circulant sur les réseaux sociaux et dans certains médias en ligne concernant le « danger de confiscation » de l’argent des citoyens par l’UE ont été démenties par la Représentation de la Commission européenne en Roumanie dès le 13 mars. « Notre objectif est d’offrir aux citoyens des options plus nombreuses et plus intéressantes, strictement dans la mesure où ils souhaitent investir. L’Union européenne n’obligera en aucun cas les citoyens à investir sur les marchés de capitaux. Les citoyens jouissent toujours d’une totale liberté d’investissement, en fonction de leurs choix personnels », a déclaré la Représentation de la Commission européenne en Roumanie sur son site web.
CONCLUSION
Non, l’Union européenne n’a pas pour objectif de transformer nécessairement l’épargne privée des Européens en investissements ni de « voler l’argent épargné par la population », mais entend offrir aux citoyens diverses manières de « conserver une plus grande partie de leur épargne dans des instruments du marché des capitaux à rendement plus élevé », mais seulement « s’ils le souhaitent », et les citoyens continueront à bénéficier d’une « totale liberté d’investir en fonction de leurs choix personnels : ils auront toujours le plein contrôle sur l’endroit où ils souhaitent conserver et allouer leur argent ».
(Carolina Ciulu)